Bon, cela fait un moment que j'avais écrit la première version et j'ai décidé de remanier entièrement le récit. Voici donc une nouvelle version de l'Antre du Mal, en espérant qu'elle sera meilleure que la première.
Dans l'Antre du Mal
IntroductionUne poignée d’humains s’aventurait dans les ténèbres nocturnes, en direction d’un manoir dont l’horrible silhouette découpait les cieux. Deux d’entre eux portaient une torche aux flammes vacillantes face aux griffes qui tentaient de les éteindre, de faire taire ce refuge.
Derek jeta un regard à la terrible noirceur qui les enserrait et frissonna, puis son attention revint au cercle de lumière et à ses compagnons. Il regarda plus particulièrement celui qui les menait, qui leur ouvrait le chemin dans la nuit. Si son regard avait été des flèches, l’autre aurait été transpercé de part en part. C’était sa faute après tout s’il était là, le jour précédent il n’était encore qu’un simple tire-laine, cambrioleur à ses heures, chiot solitaire perdu dans les entrailles du bourg. Il avait toujours vécu à Brassenwald, il avait appris à connaître cette ville malveillante, l’horrible odeur de la corruption qu’elle exhalait. Il l’avait vu, chaque jour plus impitoyable, dévorer les plus faibles, vivre du vice de ceux qui logeaient en son sein.
Orphelin de père et de mère, ses plus lointains souvenirs étaient au Temple de Shallya, où on l’avait élevé comme tant d’autres, et tenté de l’éduquer. Le jeune filou n’était pas studieux, mais il écoutait ce qui se disait : il avait vite compris que les nobles vivaient de leur cruauté, que les marchands se baignaient dans la misère de leurs rivaux, que de tous c’était la garde la plus corrompue et que même les prêtres ne bénissaient que lorsque leur bourse était bien pleine. Il avait vu trop de meurtres ignorés, surpris trop de sectes innommables pour se faire des illusions : chaque soir, le rire cruel de la ville semblait résonner dans son crâne et parfois il voyait le sourire sardonique de Morrslieb. La vérité qu’il avait tiré de ce début d’existence, c’était que les moins mauvais dans le bourg étaient les mal nés, les filous comme lui, les brigands et les coupe-jarrets, car leurs actes découlaient moins du vice que du désespoir.
Or ce jour-là qu’il était de sortie dans la rue principale, il avait vu une proie idéale. Un homme qu’il n’avait jamais vu, sans doute un étranger, maigre et élancé, la mise assez convenable et le regard dans le vague. Il avait esquivé le vieux Karl, un ancien marchand dépossédé de tout qui s’était approprié un petit angle de maison où il cuvait toute la journée ce qu’il avait bu le soir. Le regard généralement au-delà de la pensée humaine, il était parfois agressif et le jeune voleur avait appris à se méfier de lui, et des ivrognes en général. Il s’était approché de l’étranger et ses doigts avaient volé vers sa bourse, mais d’autres l’avaient intercepté ; des doigts puissants et épais, dont l’étreinte était trop forte pour qu’il ne s’en dégage. Il avait finalement levé les yeux sur une face burinée, le propriétaire de ces doigts. Celui-ci avait la mâchoire carrée, le nez maintes fois cassé, deux cicatrices sur la joue droite et une lueur brûlante dans le regard. Folie, fureur, détermination ? Il n’aurait su le dire. Il s’était attendu à des réprimandes, à des soufflets, à des cris, à un procès, mais l’homme lui avait juste demandé son nom ; il lui avait répondu d’une voix tremblotante. « Derek, hein ? » avait murmuré l’homme, comme pour lui-même. Puis il l’avait regardé droit dans les yeux et avait dit :
« Et bien pour ta peine, tu vas nous suivre, Derek. Je suis Konrad von Kohloff, de l’Ordre de la Flamme Purificatrice. »
Le jeune voleur avait frissonné à ces mots ; non qu’il eût reconnu le nom de l’Ordre, il se souvenait tout juste qu’on l’avait déjà mentionné en sa présence, mais le fait de suivre ce sinistre et étrange personnage lui causait une peur encore inconnue.
Trop occupé à maudire von Kohloff dans le secret de ses pensées, Derek ne s’était pas aperçu qu’ils étaient désormais face au manoir. Son corps fut saisi de tremblements : la corruption qui régnait sur Brassenwald n’était rien comparé à cette odeur irrémédiablement maléfique qui semblait imprégnée tout autour d’eux. Von Kohloff enfonça la porte d’entrée d’un coup de pied et un vent, glacial et vibrant à la fois, en sortit accompagné, Derek l’aurait juré, d’un rire démoniaque…